17/07/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Les petits plats traditionnels

01/03/1989
Devant le temple de Kouang-an, de bon matin, les clients savourent leur bouillie de riz au bandeng tout fumante.

Tche tsaï Tchongkouo, ou « mangeons à la chinoise », est une formule bien connue de tous les Chinois et définit une réelle connaissance de leur extraordinaire art culinaire. Les plaisirs de la table extrêmement variés pénètrent toutes les couches de la société chinoise. Le grand écrivain chinois Lin Yu-tang (1895-1976) parlant de ses compatriotes affirmait que tous les différends et toutes les disputes se réglaient mieux autour d'une table bien garnie et bien arrosée que devant le tribunal.

Depuis le voyage en Chine du président Georges Pompidou (1911-1974) en septembre 1973, les grands festins accompagnés de canard laqué et de mao-taï (un alcool clair et fort, embuant vite l'esprit) ont bien vite remplacé l'image vétuste de la cuisine cantonaise occidentalisée. Les rouleaux impériaux bien gras et les chopsuey que les étrangers, loin des frontières chinoises, tiennent pour typiques de la cuisine chinoise ont perdu leur primauté.

Une meilleure promotion de toutes ces « chinoiseries » à l'étranger ces dernières années a également ouvert un plus grand panorama sur la variété de la cuisine chinoise, une variété qui est aussi bien régionale qu'internationale. En fait, une table européenne bien garnie de viandes ne concurrence guère l'infinité apparente des plats d'un banquet chinois. Tout diplomate européen ou américain qui en a fait l'expérience saura bien l'affirmer.

Beaucoup moins familier mais non pas moins aimé qu'un grand dîner de vrais gastronomes chinois — qui sont loin d'être snobs dans la recherche des plaisirs du palais — est le snack chinois plus connu sous son nom chinois de siao-tche. Littéralement « petit comestible », cette catégorie de mets est inhérente à la gastronomie chinoise. Il permet de comprendre qu'il y a toujours un mets, et un bon mets, disponible à toute heure et en tout lieu.

Pour les Chinois, la nourriture n'est pas ce qu'on apprécie à la maison ou au restaurant à l'heure du repas, mais plutôt quand l'appétit le réclamera. Beaucoup de Chinois, de retour de l'étranger après un long séjour, rapportent que les heures d'ouverture trop courtes pendant lesquelles les restaurants occidentaux servent un repas constitue la plus grande difficulté qu'ils ont rencontrée loin du pays. En Chine, les restaurants ont certes des heures de service réglementées, mais le reste du temps est compensé par d'innombrables boutiques, échoppes et stands ouverts en quasi-permanence le jour comme la nuit et vendant justement des siao-tche.

S'il est vrai que le siao-tche ne relève pas de la haute cuisine, il n'empêche qu'il attire vite les gourmands étrangers à la recherche d'ingrédients dans les épiceries spécialisées. Il est d'une élégante simplicité et stimule le palais de la même manière que les mets favoris préparés à la maison et dont les enfants ont toujours gardé un excellent souvenir.

Il va de soi que les ingrédients et la préparation de siao-tche sont beaucoup plus simples que ceux et celles d'un banquet. Néanmoins, le siao-tche n'est pas une nourriture « facile à préparer », ni ne ressemble à un snack américain. Il peut constituer un repas en soi, étant souvent consommé par les Chinois pour « se caler les joues ». Comme au café ou au snack-bar en France, manger un siao-tche est une expérience culinaire individuelle, libre de tout protocole de table et qui ne manque ni de couleurs locales ni de goût à cause de la variété et des préparations multiples. Et pour ceux qui ne savent pas quand la faim les saisira, le siao-tche est sûrement une rédemption pour un estomac torturé.

Les rouleaux de crevettes tout croustillants, prêts à être dégustés.

A Taiwan, une immense variété de siao-tche est servie à toute heure et en tout lieu à travers l'île. Même dans la métropole trépidante de Taipei où récemment les chaînes de fast-food se sont répandues dans tous les grands centres commerciaux de la ville, les petites rues et ruelles sont toujours restées les sanctuaires du siao-tche. Mais la capitale incontestée du siao-tche est assurément Tainan, la grande ville culturelle et historique de l'île. Là, faisant partie intégrante du décor de la ville, une multitude de boutiques, d'échoppes et de stands de siao-tche, plus appétissants les uns que les autres se succèdent généralement aux abords des temples bouddhiques et taoïques.

Autrefois, les parvis de ces temples servaient de marché, de bazar et de lieu de rassemblement et avaient une fonction aussi bien sociale que religieuse. Si l'aspect social des temples de Tainan a décliné ces dernières années, beaucoup de vendeurs de siao-tche qui y étaient établis depuis longtemps conservent leur place au milieu des encensoirs, sous les plafonds noircis par la fumée des bâtonnets d'encens et derrière les statues divines qui gardent les portes du temple.

Les habitants de Tainan sont fiers de leur réputation de gastronomes, et les quelques restaurants de cuisine européenne qui se sont établis dans la ville éprouvent quelques difficultés à joindre les deux bouts. Dans la cité, de nombreux vendeurs de siao-tche, plus savoureux les uns que les autres, servent pratiquement à toute heure du jour et de la nuit. Hormis le temps creux de la nuit, entre 2h et 5h, la plupart sont en service le reste du temps dans les rues et ruelles de la ville. Comment un gourmet, même néophyte, peut-il alors résister à une si forte tentation?

Il semblerait pertinent pour un palais délicat d'interroger les vieux habitants de Tainan sur leurs lieux favoris de dégustation des siao-tche. Les réponses sont difficiles à obtenir. Ainsi, en questionnant quelques initiés qui préparent les meilleures boulettes de riz farcies, on peut obtenir une réponse pythienne, du genre :

- « Untel fait les meilleures boulettes de pâte du genre à Tainan », dit une femme aux cheveux grisonnants tandis qu'elle s'installe sur un tabouret capitonné du stand installé sur la voie publique.

- « Pas du tout, lance d'une voix uniforme le client assis à ses côtés. Ceux de Mme Une telle sont succulents. »

- « Ne vous y fiez pas, entonne une troisième personne. Ce sont ceux de sa tante qui sont les meilleurs. »

A la recherche de la vérité, un peu de patience est nécessaire avant d'obtenir la bonne réponse. Lorsque les débats animés et les émotions générales se sont atténués, il apparaît que ce sont ceux de la tante qui emportent la plus grande adhésion. C'est le premier pas de l'enquête. Où tient-elle maintenant son éventaire?

Les berlingots en robe de bambou.

 

- « Oh, elle n'en fait plus depuis au moins dix ans. »

L'esprit divague un peu et cherche aussitôt à quoi se raccrocher. C'est un fait bien vivant et courant à Tainan. Revenons donc au point de départ. Où peut-on acheter les meilleures boulettes de pâte aujourd'hui? Les mots sont bien pesés avant que les discussions ne reprennent.

- « Son jeune frère et sa femme en servent sur l'avenue Min-tchouan. »

- « Mais l'éventaire de la tante est à... »

Au second souffle, la méthode formulée hâtivement est peut-être la plus excitante. En fait, la recherche du meilleur siao-tche de Tainan ressemble un peu à celle du Saint-Graal. Presque tous les vendeurs de siao-tche de Tainan ont des petites affaires de famille et certains sont spécialisés dans la préparation d'un mets depuis plusieurs génération. Il s'ensuit que les estimations du meilleur endroit pour les déguster dépend essentiellement d'une fidélité ou d'une amitié à l'égard d'une famille ou d'une autre, ce qui influence largement l'objectivité.

Pourtant la persévérance paie, et après de nombreux efforts, on peut se dresser une petite liste des meilleures spécialités de siao-tche en attendant que l'appétit et le goût ne viennent pour les savourer. L'étude des must de Tainan devrait satisfaire les goûts les plus délicats, qu'ils en soient les habitants ou les voyageurs de passage.

Le bouillon aux boulettes de poisson, garni d'échalotte coupé.

La bouillie de riz au bandeng

Dans une cour du temple de la Vaste Paix, datant du XVIIIe siècle, se tient un stand dont la spécialité fort renommée est du bandeng cuit dans une bouillie de riz qu'il sert comme petit déjeuner. Le bandeng est un poisson argenté, édenté ressemblant au hareng abondant dans les eaux stagnantes des tropiques. Sa chair est délicate et assez fade. Il se prépare de plusieurs façons, mais celle de Tainan est assurément la plus populaire et la plus répandue.

Ce vendeur de « petit déjeuner » singulier en fait une concoction savoureuse dans une bouillie fine de riz glutineux. Cuite avec des coquillages frais et des morceaux de bandeng, elle se vend 20 yuans taiwanais le bol. (28 yuans taiwanais équivalent à un dollar américain.) C'est un plat fort apprécié de la population qui en fait un mets de prince.

Le stand a une place excellente à côté du temple et non loin du marché. Il est dès les premières heures du jour rempli d'une clientèle fidèle qui déguste ce plat approprié en guise de petit déjeuner chinois, généralement composé de poisson à l'étuvée, de saucisses frites, de légumes sautés, de tofou* à la farce, de porc mijoté et autres.

Le propriétaire du stand, M. Tcheng Ki, dirige son affaire avec son épouse et deux autres membres de sa famille. La douzaine de petites tables disposées dans la cour du temple comme celles d'une terrasse de café parisien sont rarement toutes occupées, mais les clients se succèdent à un rythme extrêmement rapide. En effet, le mets avalé, la place est aussitôt disponible pour ceux qui attendent leur tour.

Une immense publicité pour le thon enrobé de sucre donne une juste mesure d'un siao-tche tainanais.

Il n'y a pas de carte puisqu'un seul plat est servi, et la commande est directe. Donc, rien à écrire pour M. Tcheng Ki ou ses parents qui font le service. Le temps d'attente des plats est infime. Le temps de jeter un bref coup d'œil autour de lui et le client a son bol servi tout fumant devant lui. Sur la table, des baguettes et des cuillers rangées dans des gobelets sont à sa disposition.

Après avoir rempli un bol d'une louche de bouillie chaude tirée d'un grand chaudron fumant de son stand (qui est en fait une grosse carriole), M. Tcheng Ki ajoute une pincée d'assaisonnement, un ou deux brins de coriandre et, si le client le désire, un morceau de foie de poisson. Voilà le mets est prêt à être dégusté! Si le prix est dérisoire, le bandeng est certainement le plus frais qui soit, étant acheté et débité le jour même avant l'aube. Le stand utilise en moyenne 125 livres taiwanaises de bandeng et 75 livres de coquillages par jour et n'a jamais de reste. (1 livre taiwanaise équivaut à 596,8 grammes.)

Le goût délicat du bandeng est idéal pour commencer la journée. Et la seule chose qui puisse taquiner ces mangeurs du matin sont les arêtes caractéristiques du bandeng. Mais cette difficulté est facilement surmontable si l'on termine d'abord la bouillie de riz et ses ingrédients pour ne garder que le gros morceau de poisson à la fin. Alors, il est plus simple de le piquer avec ses baguettes pour extraire la chair des arêtes.

 

Le bouillon aux boulettes de poisson

La plupart des clients de chez Ah Tchouan sont des habitués. Le marchand a certes une enseigne, mais aucune publicité tapageuse. M. Lin Yong-chouen, propriétaire de la troisième génération de ce stand, est fort connu pour la préparation d'un bouillon singulier et appétissant aux boulettes de poisson. A peu près tous les marchés de Taiwan servent des boulettes de poisson, mais M. Lin Yong-chouen les confectionne lui-même, c'est-à-dire chaque jour très tôt le matin.

Lui et sa femme sont déjà debout depuis longtemps quand le soleil point, parcourant des yeux le marché aux poissons pour acheter les plus frais et se procurer les autres ingrédients nécessaires à leur préparation. Ils reviennent vite à leur stand pour désosser le poisson, le broyer en pâte et confectionner les boulettes, ainsi que pour préparer le bouillon qui les accompagnera. Tout est déjà prêt à être consommé au lever du jour.

En fait, il y a plusieurs types de boulettes de poisson, dont certaines contiennent du porc, toutes aussi savoureuses. C'est encore le bandeng réduit en purée qui entre en préparation. La boulette est ovoïde, de la grosseur d'un pouce à la cuisson. D'autres sont à base de crevette et de bandeng.

Le bouillon, fait d'une cuisson prolongée de viande de porc dans lequel seront cuites les boulettes de poisson, donne une saveur supplémentaire. Chaque bol aura sa grande louche de bouillon, une pincée de sel, du poivre et d'autres épices, deux boulettes de poisson, une de porc et quelques débris d'un beignet allongé à la tainanaise, le tout semé de rondelles d'oignon vert. La présentation est aussi plaisante à l'œil que savoureuse au palais.

Chaque bol coûte 30 yuans taiwanais, et pour 10 yuans de plus, M. Lin Yong-chouen ajoute quelques morceaux d'aileron de requin cuits qui relèvent parfaitement le mets. Les boulettes de poisson sont délicatement assaisonnées et sont d'une qualité nettement supérieure à celles que l'on trouve dans le commerce. Le bouillon, trop clair, n'est pas en soi suffisant comme repas, mais il éveillera l'appétit du convive au milieu de la matinée en attendant l'heure du déjeuner.

Un beignet accompagnant un berlingot végétalien.

Le rouleau de printemps

Contrairement au chopsuey universel qui est le mets chinois « au goût occidental », le rouleau de printemps fait réellement partie de la cuisine traditionnelle chinoise. Il est un des mets favoris des Taiwanais et se prépare dans tous les marchés de jour et de nuit. Un stand anonyme à un coin animé de l'avenue de Min-tsou le prépare depuis plus de 30 ans, d'une façon extraordinaire qui est celle de Tainan selon une recette familiale. La seule marque de ce stand est une pancarte qui pendouille du toit de la carriole écrite en chinois « Rouleau de printemps, 15 yuans. »

Le rouleau à la tainanaise est tout à fait différent du rouleau cantonais, beaucoup plus connu. Plus gros et plus épicé, il n'est pas frit aussi longtemps que le précédent. Un changement apprécié par ceux qui trouvent, parfois à juste titre, que la cuisine chinoise est trop grasse. Le rouleau de printemps se prépare instantanément dans le stand même et est servi tout croustillant aux clients.

Sur une longue table de préparation, on en confectionne cinq à la fois, ce qui ressemble à une mini-chaîne de production. L'enveloppe extérieure d'un rouleau de printemps est une crêpe extra-fine, sèche, faite de farine de riz et d'environ 15 cm de diamètre. Chaque rouleau se compose de deux ou trois crêpes s'enveloppant les unes sur les autres. Cinq crêpes sont donc disposées sur la longue table tandis que la farce contenue dans de grands raviers est placée en long dessus.

Tout d'abord, on y dispose un mélange de choux, de pousses de soja et d'échalottes cuits; puis des morceaux émincés de tofoucare* et de porc, et d'œufs sont ajoutés avec quelques crevettes décortiquées et un peu de coriandre frais. Enfin, la touche finale, on y saupoudre une cuillerée de cacahuètes moulues et de sucre en poudre mélangés. L'ensemble est roulé, les bouts rabattus, puis on fait roussir le rouleau dans une poêle sèche à feu doux.

En le croquant, le goût est spécial. Tout d'abord, une saveur douce se dégage dès que le sucre et la poudre de cacahuète fondent dans la bouche. Puis on mordille le reste qui, avec son léger goût salé, se mélange agréablement au précédent. En fin de compte, les deux goûts sont complémentaires sans se superposer l'un à l'autre. La crêpe même est aussi parfumée. En tout cas, c'est un mets exquis. Cette préparation n'est peut-être pas immédiatement appréciée par celui qui la goûte pour la première fois, mais elle est assurément fort primée des Tainanais et demande certainement à y revenir.

Tous, jeunes et vieux, retrouvent l'appétit et la joie devant leurs petites portions favorites.

Le chausson farci à l'étuvée

Le nom de ce stand est simple et indicateur : Wou-miao Tsien, c'est-à-dire « devant le temple de la Guerre ». M. Tchang Ta-kiun, le propriétaire, fait son chausson farci à l'étuvée devant l'entrée du temple depuis plus de dix ans. Quoique dernier arrivé dans les mœurs de Tainan, les débits de siao-tche sont installés depuis trois ou quatre générations, M. Tchang Ta-kiun a su ménager son temps pour devenir l'un des grands chefs de la ville dans sa spécialité. Vraiment, le temple de la Guerre, vieux de trois siècles, et le chausson de M. Tchang comptent parmi les « sept merveilles » de la ville. Son plat de deux chaussons ne coûte que 20 yuans taiwanais.

Il y a au moins une douzaine de mets chinois qui sont abusivement traduites par « boulettes de pâte », faute d'un meilleur nom... ou d'imagination. La spécialité de M. Tchang Ta-kiun se nomme en taiwanais bah-oann qui est une acception assez particulière de la grosse « boulette farcie ». La pâte est faite de riz cuit battue, puis malaxée et saupoudrée de farine de patate douce pour l'empêcher de se craqueler pendant la cuisson. On en forme une grosse boulette aplatie d'environ 8 cm de large que l'on cuira à la vapeur.

La farce, typique de Tainan, est composée de viande découpée en dés et assaisonnée d'échalottes sautées, de tsiang-yo* (sauce de soja) et d'épices assorties. Elle est introduite dans le chausson flasque et froid auquel on donne forme avant de le placer dans une étuveuse rectangulaire qui peut en contenir 36.

Le chausson est servi avec une sauce brune tainanaise faite de tsiang-yo*, de vinaigre, de sucre, de ketchup et d'épices diverses. La préférence pour le sucré et le salé mélangés dans cette sauce est assez typique de la région. On retrouve cette sauce presque partout chez les marchands de siao-tche de Tainan. C'est un excellent complément du chausson qui serait autrement un peu pâteux. M. Tchang Ta-kiun peut ajouter pour ceux qui le préfèrent un assaisonnement plus aigre-doux. Un autre condiment apprécié des clients, le wasabi, est une moutarde verte japonaise très forte à base de raifort. Est-ce un ersatz de l'occupation japonaise d'un demi-siècle jusqu'à la fin de la dernière guerre mondiale? En tout cas, c'est surtout un condiment qui neutralise tous les autres parfums.

Le bouillon aux boulettes de poisson de M. Lin Yong-chouen est une recette familiale de trois générations.

Le berlingot en robe de bambou

Le berlingot de riz en robe de bambou ou tsong-tseu, fait de riz glutineux farci de divers ingrédients, est réellement enveloppé d'une feuille de bambou prenant la forme d'un gros berlingot. Ce n'est pas à vrai dire une spécialité de Tainan puisqu'il fait partie de tout le folklore chinois aux si longues traditions. Chaque année, le tsong-tseu est dégusté à travers toute la Chine lors de la fête des Bateaux-Dragons pour commémorer la mort de Kiu Yuan, un grand héros de la Chine antique. Mais les berlingots de Tainan ont tout de même un fort accent de la Chine du Sud avec leur farce de viande et d'autres ingrédients complémentaires alors que les Chinois du Nord ont une nette préférence pour le sucré.

Tsaï-fa-hao est le plus vieux et le plus célèbre débit de « berlingot de riz en robe de bambou » à la tainanaise. Il sert depuis plus de cent ans, soit quatre générations. Le mets coûte présentement 20, 30 ou 40 yuans selon la taille et les ingrédients de la farce.

 

Autrefois, la plupart des paysans préparaient leurs propres berlingots de riz. La technique est assez simple. Une boule de riz glutineux (une variété de riz) est modelée à la ressemblance d'un berlingot de lait. Divers ingrédients traditionnels, maigre de porc, champignons, châtaignes, crevettes séchées, œufs de cane salés, etc., sont placés tels quels dans le berlingot. Puis l'ensemble est enveloppé d'une feuille de bambou et ficelé pour être suspendu dans une grande étuve placée sur un fourneau à charbon installé devant le stand. Plusieurs douzaines de berlingots sont ainsi cuits en même temps. Servi dans un bol plat, ce berlingot est « pelé » de sa feuille de bambou pour être consommé avec une sauce mi-sel mi-sucre typique de Tainan. En général, on le déguste à l'aide d'une petite spatule en bambou.

Les berlingots de riz sont tous farcis des mêmes ingrédients, mais leur quantité détermine le prix... et l'affluence de la clientèle. Pour un appétit moyen, la grosse taille est amplement suffisante. Ce mets excellent pèse tout de même un peu sur l'estomac. Le « berlingot de riz en robe de bambou » est surtout le symbole d'un grand geste comme l'enseigne la tradition.

Le berlingot végétalien en robe de bambou

Si l'une des caractéristiques des siao-tche est la simplicité de la préparation, le berlingot végétalien** en robe de bambou peut certainement être considéré comme le plus représentatif d'entre eux. Les seuls ingrédients sont le riz glutineux et les cacahuètes. Mais comme tout cuisinier le sait, plus la composition est simple, plus la préparation est difficile.

Depuis 1949, M. Tcheng Li-kin vend ce snack savoureux en face du temple de Cha Tao, de 315 ans d'âge. C'est non seulement un mets apprécié des fidèles bouddhistes (qui pratiquent le végétalisme) mais aussi des autres Tainanais. L'animation autour de son stand est indicateur des bonnes affaires de M. Tcheng Li-kin. Il peut vendre plus de mille berlingots à 10 yuans pièce en moins de trois heures au moment de l'affluence.

Le berlingot végétalien en robe de bambou se compose, comme le précédent, d'un berlingot de riz glutineux et de cacahuètes en poudre, le tout enveloppé d'une feuille de bambou et cuit à la vapeur. Si cela paraît simple, il convient de signaler combien sont nombreux les stands qui ne servent qu'un snack pâteux avec des cacahuètes dures comme des cailloux. Chez M. Tcheng Li-kin, le berlingot moelleux est servi tout de suite après la cuisson dans une grande étuve en bambou. Après avoir retiré la feuille de bambou protectrice et ajouté une sauce spéciale — toujours mi-sel mi-sucre —, le snack peut être dégusté.

Terrasse animée d'un débit de siao-tche dans une ruelle de Tainan.

Le snack de M. Tcheng Li-kin n'est pas seulement le meilleur de tout Tainan, mais il est aussi le plus petit. D'autres préparateurs en vendent d'autres deux fois plus gros pour le même prix. « Je préfère choisir des ingrédients de qualité supérieure, évidemment plus chers, dit-il. En fait, quand j'ai commencé à vendre ce snack avec mon père ici même il y a 40 ans, la marge bénéficiaire était plus élevée que maintenant. A cette époque, on servait deux berlingots pour 1 yuan; mais il convient de dire que le teou de riz glutineux qui ne coûtait que 7 yuans permettait de confectionner environ 180 berlingots. »

Avec le progrès économique de Taiwan, le prix du teou (env. 10,35 litres) s'est multiplé par plus de quarante. Et à 10 yuans pièce, le prix de détail de M. Tcheng Li-kin est encore très raisonnable. L'accent sur la qualité et non sur la quantité a finalement attiré une grosse clientèle assez fidèle, surtout le matin, car ce snack est recommandé pour bien commencer la journée.

Le consommé de bandeng

Le stand Sin-weï est un nouveau venu sur le marché du siao-tche de Tainan. M. Lin Tsin-nan et son épouse ont monté leur stand sur l'avenue Kaï-yuan depuis seulement dix ans. Mais en ce court laps de temps, ils ont réussi à se distinguer en préparant l'un des meilleurs siao-tche que Tainan puisse offrir. Si l'on commence à se lasser des nombreux condiments mi-sel mi-sucre qui ne sont après tout pas de couleur locale, une visite chez Sin-weï pour un bol de consommé de bandeng est une excellente alternative.

Le consommé clair et parfumé et la saveur fraîche et pure du bandeng résume ce que les gourmets chinois appellent l'oan-bi (en pékinois yuan-weï), le « parfum original ». Chaque bol, contenant deux grands morceaux de bandeng et la partie très appréciée de l'estomac, coûte 45 yuans.

M. Lin Tsin-nan est un homme très occupé par la préparation de ses siao-tche. Ses quatre feux sont allumés en permanence, car il sert une plus grande variété de mets que les autres stands de siao-tche, comme le bouillon aux boulettes de poisson, la bouillie au bandeng, et d'autres produits de la mer. Il cuisine également une spécialité, une bouillie de riz glutineux relevée avec une sauce à la viande. Mais c'est surtout son consommé au bandeng qui attire le plus la clientèle et a fait sa renommée. Contrairement à d'autres qui cuisent d'abord le poisson entier, puis le maintiennent au chaud dans un grand chaudron avant de le servir, M. Lin Tsin-nan cuit une portion à chaque commande.

Il remplit un petit pot d'une louche de consommé déjà préparé avec les os du poisson qui lui donnent un subtil parfum. Lorsque le bouillon arrive à ébullition, il y plonge deux morceaux de bandeng cru et quelques boulettes du même poisson qui sont aussi faites maison. Quand le tout est à point, il ajoute une pincée de sel, quelques brins de coriandre et un peu de gingembre effilé. Le consommé au bandeng est sublime, délicat, comme les belles dames décrites dans les poèmes, et nourrissant aussi. Non seulement le poisson est tout frais du matin, mais à la stupéfaction du client, il est désossé, ce qui permet de mieux le savourer.

Un autre spécialité de Sin-weï est la soupe de gésier de poisson, très estimée des gastronomes tainanais. Le bandeng est un des rares poissons ayant un gésier comestible. Chez Sin-weï, toujours sur commande, ce siao-tche est préparé avec le même merveilleux bouillon pour la somme de 25 yuans. Le gésier doit être consommé très frais, c'est pourquoi, on le prend au petit déjeuner. C'est un stimulant qui change, tant s'en faut, du café, des tartines grillées ou des œufs sur le plat!

Les raviolis à la vapeur, alignés en rang dans l'étuve, en attendant d'être séparés pour remplir de joie les palais des clients.

Le flan de riz à la tainanaise

Il est couramment appelé par erreur « pudding» au riz et fait aussitôt penser au riche entremets sucré que les Anglo-Saxons mangent chaque année à la Noël. Or le flan de riz à la tainanaise est complètement différent n'a pas du tout cette consistance. Appelé oan-koé localement (en pékinois wan-kouo), il se prépare avec du maigre de porc et des crevettes séchées. C'est un plat très répandu dans toute l'île, et la préparation tainanaise a quelque renommée. M. Ou Ting-kiang qui vient de reprendre le stand Fou-cheng-hao après le départ en retraite de son père poursuit la tradition familiale vieille de plus de 70 ans. La seule concession au modernisme est la grande étuveuse en inox qui peut contenir au moins 50 bols de flan de riz en une seule cuisson. L'étuveuse, qui coûte 10 000 yuans, est alors un investissement considérable pour un marchand de siao-tche.

M. Ou Ting-kiang continue de faire le flan de riz à la tainanaise selon la recette de la famille. Il se sert tout d'abord d'une meule pour moudre le riz en une fine pâte auquel il ajoute des morceaux de porc maigre, une sauce à la viande et des crevettes séchées. Cette préparation disposée dans des bols en grès est cuite à la vapeur pendant vingt bonnes minutes. Après cuisson, il laisse le flan de riz refroidir et durcir légèrement. Démoulé, le flan de riz est servi avec du yocao* (une sauce au soja épaisse) qui est aussi typique des condiments de Tainan. Le mets ainsi présenté coûte 15 yuans.

Pour l'avoir comparé à beaucoup d'autres de la ville, le flan de riz de Fou-cheng-hao est vraiment d'un goût supérieur. Interrogé sur le succès de sa préparation, M. Ou Ting-kiang répond qu'il utilise des ingrédients absolument frais, ce qui lui impose des achats quotidiens au marché. La préparation aussi est importante, y compris le découpage du porc en dé qui aura également une influence sur le goût final.

Enfin, il pointe du doigt l'étuveuse en ajoutant fièrement qu'aucun marchand de Tainan n'en a de semblable. Mais est-ce bien là la différence? Quoi qu'il en soit, le client sait parfaitement la faire.

Les raviolis à l'étuvée

Le Pao-tsaï-lou, un très vieux stand de siao-tche de Tainan sert des raviolis chinois assez particuliers depuis 1886. Il est tenu par M. Che Wen-hiong, de la quatrième génération. Le Pao-tsaï-lou se situe près du temple de l'Eau claire (Tsing Choueï) qui fut construit en 1779 sous le règne Kien-long de l'empereur Kao-tsong de la dynastie mandchoue Tsing. Ce temple bouddhique est dédié à la déesse de la Miséricorde, le bodhisattva Avalokiteçvara.

On y sert deux sortes de raviolis à la vapeur ou tcheng kiao qui s'appellent l'un choueï-king kiao, ravioli de cristal, et l'autre jeou-pao, boulette farcie de viande. Le premier est recommandé pour son goût délicat. C'est vraiment un snack qui vaut le déplacement.

La table de préparation des rouleaux de printemps. Il y entre au moins une douzaine d'ingrédients...

La farce des raviolis de cristal se compose de morceau de pousse de bambou, de navets chinois, de porc maigre, de crevettes séchées et d'épices diverses. Elle enveloppée d'une fine pâte faite de farine de riz, le tout cuit à la vapeur. L'enveloppe est beaucoup plus fine que celle du chausson à la viande (bah-oann) décrit plus haut, de telle sorte qu'on croirait deviner les composants de la farce qui est légère et assez fondante, ce qui change des autres préparations du même genre habituellement en vente. Pour bien en conserver le goût léger, le gourmet fera bien de se garder de le napper d'une sauce, même onctueuse. Ces raviolis n'en ont nullement besoin. Le ravioli de cristal coûte 6 yuans la pièce; et les six forment un plat de choix.

Ces raviolis à l'étuvée ressemblent fort à ceux plus populaires du nord de la Chine. L'enveloppe est alors faite de pâte à beignet, ce qui n'est guère courant dans le Sud de la Chine, « mangeur de riz ». La farce à la tainanaise est couramment faite de chair à saucisse, de champignons découpés, d'œufs de cane salés, de crevettes séchées et d'épices de toutes sortes. Si les raviolis de M. Che Wen-hiong n'ont pas encore fait l'unanimité en la matière, surtout en les comparant à ceux du nord de la Chine, ils ne sont nullement sans mérite. M. Che Wen-hiong fait également des beignets de viande avec une pâte sans levain, ce qui les rend plus légers et aussi plus digestes. Il les cuit à la vapeur sur un feu de bois. Chaque beignet de viande est d'environ de la grosseur de deux raviolis de cristal et coûte 12 yuans.

Le rouleau de crevettes frit

Aux heures matinales, le marché de Kouang-fou sur l'avenue Tcheng-kong est rempli de vendeurs de fruits et de légumes. A midi, ils plient leurs étals et s'en vont, et les stands de siao-tche prennent alors leur place. Ils resteront ouverts jusqu'à une heure tardive de la journée. Parmi ces stands, l'un d'eux a une spécialité très savoureuse de Tainan, le rouleau de crevette frit. Ici, les clients peuvent voir les crevettes toutes fraîches être mélangées à l'échalotte, au chou, à des épices et d'autres ingrédients, puis frites jusqu'à ce que l'ensemble prenne de belles couleurs. Chaque plat qui comprend deux rouleaux coûte 20 yuans.

Un cliché, un morceau entier de bandeng sorti de sa bouillie de riz. Il semble bien fameux, mais attention aux arêtes

Le propriétaire, M. Houang Kin-choueï, commença à préparer des rouleaux de crevette frits à l'âge de 26 ans. Il était auparavant employé de banque dans le nord de Taiwan, mais désirait depuis longtemps un emploi plus indépendant dans sa ville natale de Tainan. Impressionné par les bonnes affaires d'un marchand de siao-tche au marché de Che-king-kieou, il lui demanda de le prendre comme apprenti.

M. Ou Sseu, le propriétaire, originaire de Foutcheou, dans le Foukien, accepta le jeune homme, en lui expliquant que sa famille faisait des rouleaux de crevette frits depuis trois générations. Bien apprendre cette recette familiale est aussi apprendre celle du succès. M. Houang Kin-choueï comprit bien le conseil. Il était assez prophétique puisqu'il le pratiqua pendant quelque 40 ans avant de prendre tout dernièrement sa retraite. Aujourd'hui, son fils, M. Houang Ta-hiong, applique la même recette qui a maintenant une génération de plus avec la même renommée et... le même succès en affaires.

 

Photographies de Lin Tien-fu et Chen Min-jeng.

[NDLR : Dans ce texte, tous les noms propres chinois sont transcrits selon le système français. Les noms gastronomiques locaux, lus conformément à la prononciation locale, sont écrits selon la phonétique française.]

* Quelques ingrédients ou condiments essentiellement chinois n'ont pas de nom, ni de traduction acceptable. C'est généralement une périphrase explicative qui varie selon les auteurs. Nous préférons nettement le terme chinois dans une acceptation francisée, précise après définition, facile à lire et peut-être... prête à entrer dans le dictionnaire français. Totsiang, lait de soja. Tofou, caillebotte du lait de soja, ingrédient indispensable de la cuisine chinoise. Tofoucare, carré de tofou épuré de son eau et séché. Tofoupire, peau épaisse ou « crème » formée sur lait de soja el séchée. Tsiang-yo, condiment de soja fermenté, servant de condiment essentiel à la cuisine chinoise. Ce condiment est généralement traduit « sauce de soja », mais ne doit absolument pas être confondu avec le nuoc-mâm (« sauce au poisson ») vietnamien qui a déjà ses lettres dans le petit Robert. Yocao, le condiment précédent épaissi et plus onctueux. (cf. La Chine libre, Vol.II, No.2, mars-avril 1985, l'article de « La vache de l'Orient »).

** Végétalien (adj.), relatif au végétalisme (ou végétarisme pur), régime d'alimentation qui exclut l'absorption de tout aliment autre que du règne végétal. Il exclut rigoureusement certains dérivés du règne animal, comme lait, beurre, oeufs, miel. Les fidèles bouddhistes pratiquent strictement le végétalisme pour leur nutrition. [Adjectif (néologisme), d'après végétalisme. Par analogie à végétarien, d'après végétarisme.]

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